En guise d’introduction tucumane…
J’ai eu la chance que mes pas m’aient porté à Tucuman, la plus petite province argentine située dans le nord ouest du pays, véritable porte d’entrée vers le NOE (noroeste) argentin. Cette province, assez peu connue des grands voyageurs, recèle pourtant une histoire très intéressante et d’innombrables paysages magnifiques et très variés. Elle est en outre également appelée le « jardin de l’Argentine » pour son climat très verdoyant et fertile autour de sa capitale.
Uniquement de passage par San Miguel de Tucuman, je me suis surtout promenée dans les vallées Calchaquís au nord ouest de la capitale et à la frontière avec les provinces de Salta et Catamarca.
Données de base
D’une superficie de 22 524 km2, la province de Tucuman est donc la plus petite d’Argentine mais elle est la plus densément peuplée (72.5 hab x km2). Son nombre d’habitants de 1 633 992 en 20171 n’est pas non plus sans rivaliser avec les autres provinces du pays. Sa capitale, San Miguel de Tucuman, est la 5ème ville du pays et elle est en outre une grande ville universitaire.
Malgré sa taille, la province de Tucuman concentre des paysages et des microclimats extrêmement variés. Autour de San Miguel de Tucuman, le climat y est subtropical et le taux d’humidité peut atteindre jusqu’à 80% en été ! L’est de la province forme une partie de la région chaqueña appelée « pampa de Tucuman ». Sinon la majeure partie de l’ouest de la province est composée de montagnes, avec au nord les monts Calchaquís (Cordillère orientale), au sud la chaîne de l’Aconquija (qui appartiennent à la Sierras Pampeanas) et enfin à l’extrême nord ouest les Vallées Calchaquis qui s’étendent également vers Salta. Ces vallées présentent un climat aride de haute montagne et une amplitude thermique relativement élevée.
Histoire tucumane
La civilisation prépondérante dans le région était celle des Diaguitas, sédentaires vivant d’agriculture, d’élevage de lamas et alpagas et du travail de céramique et du métal. Au cours de la période de 850 à 1480 ap. JC, ces populations connurent un essor considérable et s’implantèrent durablement dans la région. Ils vivaient regroupés en ethnies sous l’autorité d’un cacique (chef) et parlaient l’idiome « kakan ».
Autour de 1480, ils subirent l’invasion incas et furent intégrés de force à l’empire. Ils furent acculturés relativement pacifiquement par les Incas qui profitèrent de leur système de production agricole et le perfectionnèrent pour participer à l’empire. Ce n’est que cinquante ans plus tard, autour de 1534, que les Espagnols arrivèrent dans ces contrées éloignées et envahirent les Incas. La province fut créée en 1563 et intégrée à la monarchie espagnole mais non sans une résistance de quelques 130 ans des populations locales.
Un petit saut dans le temps… La province de Tucuman est importante dans l’histoire argentine, puisque c’est à San Miguel de Tucuman, la capitale de la province, que fut signée le 9 juillet 1816 la déclaration d’indépendance d’Argentine, rompant formellement le lien politique entre les provinces unis du rio de la Plata avec la monarchie espagnole.
Economie de la province de Tucuman
La région autour de San Miguel de Tucuman, très fertile, est essentiellement basée sur la production agricole de fruits (notamment citron, fraises, kiwi) mais surtout de canne à sucre. Le sucre est une donnée importante de l’économie de la région, qui concentre de nombreuses usines sucrières. Très dépendante des cours mondiaux, l’économie de la province subit de plein fouet la crise de 2001, qui augmenta la pauvreté et la délinquance. La ville de San Miguel de Tucuman est d’ailleurs réputée assez dangereuse.
Les régions montagneuses de Tucuman contiennent de nombreux minerais qui sont exploités dans des mines, notamment le mica et l’argile.
Moins connu pour sa culture du vin, Tucuman est pourtant aussi producteur vinicole, et entre Tafi del Valle et Quilmes serpente la « route des vins ».
La communauté indigène d’Amaicha del Valle
Un droit de propriété ancien
Passé le col de l’Infernillo (3 000m) après Tafi del Vallee, commencent les vallées Calchaquís…
A partir de là, on entre dans le domaine de la communauté indigène d’Amaicha del Valle qui jouit d’un droit de propriété sur plusieurs centaines d’hectares. En outre, un droit communale vient se superposer au droit provincial et national – d’où parfois certains vides légaux. Chaque individu de la communauté dispose d’un droit de vote lors des réunions de la communauté – pendant lesquelles chaque résident a aussi un droit de parole.
Par exemple, il est interdit de vendre un terrain mais chaque jeune amaicha peut en demander un à sa majorité pour y faire construire sa maison. Une personne extérieure à la communauté peut venir s’installer après accord du cacique, mais elle ne pourra pas revendre ce terrain (qu’elle n’aura à priori pas acheté). De même, le vin de la communauté amaicha est produit par et pour la communauté.
Pour comprendre tout cela qui peut paraitre étrange, il faut remonter aux temps des guerres calchaquis (1659 – 1667), dernières résistances contre les colons espagnols qui par la suite marquera la déportation des peuples Quilmes et Amaicha. En 1716, le roi Philippe V d’Espagne concéda par proclamation royale le droit de propriété au cacique Francisco Chapurfe sur 90 000 hectares (entre Amaicha et Quilmes) en échange du baptême de ce dernier et de la promesse que ses descendants et son peuple en fassent de même2. Fait exceptionnel pour l’époque et d’autant plus que c’est la seule communauté indigène de tout le NOE à en bénéficier. Ils ont pu administrer leurs terres à travers un syndicat communautaire pendant deux siècles. Au moment de la réforme constitutionnelle de 1994 qui reconnait la préexistence ethnique et culturelle des peuples indigènes, la province de Tucuman leur concéda le titre de propriété collective. Actuellement, Amaicha dispose de deux gouvernements : en plus de sa participation au gouvernement de la province de Tucuman, un autre gouvernement interne de la « communauté indigène », où est élu un cacique en charge de l’administration des biens communautaires.
Le culte de la Pachamama
Loin d’être unique à Amaicha, le culte voué à la Pachamama (la « terre-mère »), prévalait dans une bonne partie de l’Amérique précolombienne. Avec la christianisation liée à l’arrivée des Espagnols, la figure de la Pachamama a sans cesse régressé au profit de celle de la vierge. Par moment les gens font usage d’un mélange de pratiques assez intéressantes, de la vénération de la Vierge et de la Pachamama, liant coutumes ancestrales et foi chrétienne.
Toutefois, depuis la dernière décennie (et certainement sous l’impulsion des politiques favorables à ces peuples indigènes réalisées par le gouvernement antérieur), les gens sont de nouveau peu à peu fiers de cette particularité culturelle. Cela se démontre particulièrement le 1er août, date de la fête de la Pachamama, qui est réalisé en grande pompe et attire de plus en plus de touristes, alors qu’avant ce rituel était plutôt fêté discrètement.
L’apacheta, petit monticule de caillou, est un élément important du culte de la Pachamama car il permet de réaliser l’offrande à la Terre-mère. Encore de nos jours, quasiment tout le monde dans la communauté en possède un (ou plusieurs !) dans son jardin et y déverse les premières gouttes d’une bouteille de vin ou de bière, des cigarettes, ou toute sorte d’aliment.
Le gauchito Gil
Le culte voué au « gauchito Gil » est très important dans le NOE argentin. Toutes les routes sont bordées de petits sanctuaires à son effigie, qui se reconnaissent par les drapeaux rouges qui les entourent.
Le gauchito Gil est une figure légendaire dont l’origine est incertaine et il s’est crée tout un mythe autour du personnage. Supposé originaire de la province de Corrientes (nord est du pays), il aurait été un gaucho qui combattit lors de la Guerre de la Triple Alliance (qui opposa l’Argentine et le Brésil au Paraguay au XIXème siècle). Il déserta, fut rattrapé et pendu à un carroubier. La légende dit qu’il aurait dit à son bourreau : « en rentrant chez toi, si mon sang va à dieu, ton fils malade guérira »3. Gauchito Gil mourut et le fils fut sauvé.
Apparemment il existe tout un mouvement de personnes qui essayent d’obtenir la canonisation de Gauchito Gil, à ce jour sans succès…
Un peu de tourisme à Tucuman
Après avoir traversé la végétation luxuriante de la Quebrada de los Sosa par la route provinciale 307, le voyageur arrive tout d’abord à la localité d’El Molar puis 15 minutes plus tard rejoint le village de Tafi del Valle. De l’autre côté du col de l’Infernillo commence les vallées Calchaquís avec la communauté indigène, Amaicha del Valle puis les ruines de Quilmes sur l’autre versant.
Tafi del Valle et El Molar
A seulement 3h en bus de San Miguel de Tucuman, Tafi del Valle s’élève à 2014m d’altitude.
Ce dernier jouit d’un climat favorable, tempéré avec des neiges hivernales, situé dans une vallée entourée de montagnes imposantes et bordé d’un lac. Très touristique, il est peu à peu devenu le lieu de villégiature privilégié de l’élite tucumane.
El Molar est intéressant pour sa localisation autour du lac mais surtout pour sa réserve archéologique des Menhirs.
Ces derniers étaient dispersés dans les vallées jusqu’à ce qu’ils fussent regroupés dans la localité d’El Molar par la dictature militaire en 1976 prétextant des raisons scientifiques. Malheureusement, ces déplacements furent réalisés sans réelles logiques et les autorités de l’époque ne prirent aucunes dispositions pour préserver ces pièces archéologiques. Une grande majorité d’entre elles furent vandalisées et volées pendant cette période. La réserve ouvrit en 2012 dans un souci de conservation et de mémoire. De forme phallique, ces menhirs représentaient sûrement la fertilité et devaient être édifiés pour demander aux divinités de bonnes récoltes.
Amaicha del Valle
La principale attraction touristique du village d’Amaicha del Valle est le musée de la Pachamama. Inauguré en 1998 par l’artiste local Hector Cruz, il donne un bon aperçu de la géologie, de la culture et de l’histoire de la région. Le propriétaire des lieux semble être un petit tyran qui met a contribution toute la communauté pour la conception de ses tentures qu’il vend à la fin de la visite. « Je ne connais personne de la communauté qui n’ai pas tissé une fois pour lui », me dit un jour mon hôte – qui est résidente mais ne fait pas partie de la communauté. Le musée présente surtout une architecture très esthétique, mêlant les symboles de la culte indigène.
Quelques symboles importants : le suri, la lune, le soleil.
L’autre attraction plus anecdotique d’Amaicha, est la statue de la vierge taillée dans une seule pièce de bois, construite et offerte par le sculpteur allemand Ludwig Schumacher4.
La « cité sacrée » des Quilmes
Les ruines des Quilmes que l’on peut visiter est une reconstitution de 10% de la ville originale. Les Quilmes faisaient partie des peuples Calchaquis et ont résisté 130 ans aux Espagnols avant d’être déportés à Buenos Aires. La plupart mourut en chemin et les survivants se suicidèrent pour ne pas vivre assujettis. En leur mémoire, une ville porte leur nom à une vingtaine de kilomètres de Buenos Aires Capital.
Le site devient rapidement une fournaise – à partir de 11h on y cuit ! – mais il est assez photogénique avec ses cactus candélabre « los cardones » (echinopsis atacamensis) et la vallée en arrière plan.
L’architecture de la cité est assez intéressante : les maisons hautes de quelques centimètres étaient édifiées à 2 mètres sous la terre et plusieurs familles vivaient ensembles autour d’un patio interne. La ville étant construite en étage, le toit d’une habitation est aussi le sol de la suivante.
Les habitations circulaires étaient destinées à moudre, cuisiner ou entreposer les aliments. Ci-dessous, outil utilisé pour moudre.
La reconstitution de la cité des Quilmes est bien faite car elle permet de donner une petite idée de ce à quoi pouvait ressembler la ville et surtout car elle reste assez discrète.
Pour conclure, je peux dire que la découverte de la province de Tucuman et des vallées Calchaquís furent très enrichissantes, tant par l’histoire, la culture que la diversité des paysages qu’elles ont à offrir.
1. http://www.europaworld.com/pub/entry/ar.ss.2
2. http://www.arte-aborigen.com/insite.php?getvarid=31
3. http://www.gauchitogil.net/historia-del-gauchito-gil/
4. http://www.petitherge.com/article-20393816.html
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